Le suicide des jeunes (3)
Témoignage sur leur itinéraire céleste : Jacques et les sentiers du Ciel
« Où es-tu, toi que j’aime ? » Aucun être confronté à la perte d’un être cher ne peut échapper à ce douloureux questionnement, mais si ce questionnement est crucifiant lorsqu’il s’agit du décès d’un jeune ayant quitté la terre à l’aube de son existence, que dire de ce qu’il représente pour les parents confrontés à la mort de leur enfant ayant volontairement abrégé sa vie ? Ce questionnement entraîne une souffrance insupportable : à l’absence, au choc inouï de la mort brutale, s’ajoute une incompréhension générant un sentiment de culpabilité et entraînant un lancinant : pourquoi ?
Et comme si ce n’était pas suffisant, il faut compter avec une angoisse diffuse concernant l’itinéraire post-mortem de l’aimé(e) disparu(e) tant une certaine culture religieuse a inculqué l’idée du suicide comme faute grave…Certes, il ne nous appartient pas de couper le fil de notre existence car « notre âme doit mûrir au soleil de la terre le temps voulu par Dieu » mais qui peut s’arroger le droit de sanctionner une « fugue de l’âme » qui est presque toujours chez un jeune une aspiration élevée dans un monde matérialiste, sans altitude et qui détruit les rêves en sacrifiant l’intériorité sur l’autel du seul paraître.
« Qui me donnera des ailes comme à la colombe
Que je m’envole et me pose ?
Voici, je m’enfuirais au loin,
Je passerais la nuit au désert (…)
Pour moi, vers Dieu j’appelle,
Et le Seigneur me sauve. » Psaume 55(54)
Oui, le Seigneur sauve! Comment envisager que ces jeunes ne soient pas emportés vers le Soleil de Dieu ? Comment croire que le Dieu d’Amour n’accueille pas ces êtres assoiffés d’un monde plus beau, un monde qui sache ouvrir toutes les frontières de l’amour ? Arnaud est le seul messager christique qui nous livre une part de leur itinéraire céleste à travers deux témoignages dont le premier, celui de Jacques*, qui a quitté la terre après une errance douloureuse, est traité dans ce texte, cependant que le second, celui de Julien** qui a choisi de quitter la terre le jour de ses 18 ans, fera l’objet de la prochaine publication.
Jacques et les sentiers du Ciel
Ce compagnon de jeux de Paul, fut un enfant sensible et aimable qui ne supportait ni méchanceté ni agressivité. En conséquence, Paul, plutôt bagarreur, ne réussissait jamais à l'entraîner vers le moindre jeu violent, aussi finissait-il toujours par céder à ce cousin dont par ailleurs il partageait le goût de la lecture et plus tard celui des interrogations sur le sens à donner à la vie. Mais si Paul vivait paisiblement sa foi, Jacques qui n'aimait que le dépouillement et la simplicité ne se satisfaisait pas des cérémonies liturgiques, trop somptueuses, distantes, et manquant de chaleur humaine à son goût car il aspirait à un monde d'amour, rien que d'amour, dans un partage total et un don absolu. Tout le blessait dans ce monde où pourtant il aurait pu aisément se faire une « bonne place » car il avait des dons, notamment artistiques et, en outre, appartenait à un milieu aisé. Mais le désir de briller ne l'intéressait pas, seules comptaient l'aventure intérieure et la fraternité.
Sa vie terrestre qui s’est achevée à 28 ans fut une recherche d’amour et de spiritualité. Il a d’abord essayé de vivre son rêve auprès de Lanza del Vasto ***, tentant d’allier évangile et spiritualité orientale. Sa quête fut interrompue par la guerre. En effet l'heure du service militaire a sonné pour lui au moment où débutaient les événements d'Algérie. Et c'est ainsi que le pacifique Jacques se trouva enrôlé dans cette guerre. Bien évidemment il n'était pas question pour lui de porter une arme. Il choisit d'être objecteur de conscience, ce qui lui valut de rester trente-sept mois à l'armée et d'accomplir bien des corvées, certaines même humiliantes.
Cette "flagellation", il l’assuma sans révolte. Peut-être savait-il qu’à sa manière il suivait Jésus, entamant une sorte de chemin de croix au retour du service militaire. Ses rêves de fraternité avaient été mis à l'épreuve du feu de la guerre, il allait les reconstruire au feu de l'amour. Il entreprit donc, ayant reçu une partie de son héritage, de le distribuer aux pauvres, ne gardant même pas pour lui le nécessaire, s'autodétruisant dans un ascétisme trop rigoureux. Son appartement ouvert au vent de la charité sans barrière devint un lieu où il ne trouvait même plus le repos.
Malade et coupé de la réalité, Jacques finit par supprimer un corps physique qui de toute façon ne pouvait plus laisser passer son souffle de vie. Paul, pris par ses débuts de vie professionnelle, n'avait pas suivi la lente dégradation de Jacques et quand il réalisa le danger, le doux compagnon de son enfance lui échappa : il avait la légèreté de ceux qui n'ont plus aucune densité matérielle et appartenait déjà à l'Ailleurs des funambules de l’Absolu.
Ses obsèques furent à la hauteur des liens profonds tissés avec ceux qui avaient croisé sa route : beaucoup de pauvres et de déshérités ainsi que des coeurs purs ayant compris, mieux compris que certains de ses proches, qui était le vrai Jacques : un SDF de l'âme, « un vagabond aux semelles de vent » ; le Vent de Dieu ! Cela, un jeune abbé qui devint son ami, l’avait perçu. Il accompagna Jacques jusqu’au bout, sachant bien qu’au terme de son chemin d’anéantissement était la Source où abreuver sa soif d'Amour. L’homélie de ce prêtre fut magnifique, toute centrée sur le Christ.
« … Qui me donnera des ailes pour survoler le monde
Transformé en colombe,
Libre comme une hirondelle.
Qui m’ouvrira les frontières
Des cœurs empreints des ombres
Pour balayer les cendres de toutes leurs misères… »
Album des messagères de Notre-Dame : Ouvre la porte de ton cœur, d’après le psaume 55(54) C.P. 833 THETFORD Mines QC, Canada G6G 5V3
Paul n'avait bien sûr jamais oublié Jacques dont on parlait peu dans la famille. Pour ma part, bien que ne l'ayant pas connu sur terre, je l'ai toujours senti proche, au point que Paul et moi pouvions parler des heures de lui. Mais comment imaginer que le destin de Jacques et le nôtre étaient tellement liés que le décès d’Arnaud allait nous permettre de les réunir, Terre et Ciel confondus en une communion qui, un mois après l’envol de notre enfant, nous donnait la réponse au « Où es-tu, toi que nous aimons ? »
Arnaud était avec Jacques qu’il avait rejoint dans les sphères christiques, le découvrant si lumineux qu’il le prend pour un Saint, ce que Jacques réfute avec humilité, cependant qu’Arnaud précise : « Nous sommes UN dans l’Amour du Christ, nos forces s’unissent car Jacques a quitté la terre en état de pureté. Il est très pur, c’est un être expansé par son amour, amour qu’il avait déjà donné sur terre… Il connaît bien les sentiers du Ciel qui me sont inconnus… Il m’y emmène et je découvre d’autres communautés comme vous découvririez d’autres quartiers… »
Voilà qui remet à sa juste place l’idée que l’on peut se faire de l’itinéraire céleste des suicidés par amour et désir d’absolu ! En effet le témoignage d’Arnaud permet de constater l’évolution de Jacques, une évolution magnifique, n’ayant pas été freinée par son départ de la terre car son combat contre le matérialisme était celui de l’esprit contre la matière, c’était une inspiration christique, ce que nous révèle cet extrait de message aux accents évangéliques et prophétiques auquel Jacques a collaboré et dont le sujet traite de la violence de Jésus envers les commerçants du Temple :
« Pourquoi cette violence de Jésus alors qu’Il vous a plutôt accoutumés à sa douceur, même vis-à-vis des violents. Pourquoi Jésus se comporte‑t‑Il ainsi en cette occasion … certains le Lui ont même reproché : un Christ violent, voire brutal, bousculant tout sur son passage et fouettant les hommes ! Il détruisait ainsi son image douce et paisible…
… Prenez garde, vous tous, les hommes engagés dans les commerces du monde, à ne pas tomber dans les pièges qui vous sont inévitablement tendus car les moeurs du commerce et des affaires portent à la brutalité dans le fond, et à la douceur dans la forme. Les gestes et les paroles du Christ ce jour‑là sont à la mesure des sentiments des hommes. Il a répondu à une violence invisible par une violence visible mais nécessaire et que vous devez méditer… »
« Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. »**** La maison de mon Père veut dire le coeur de tout homme car chacun de vous est corps, âme et esprit, demeure de Dieu, demeure d'amour et non antre de lucre et de cupidité.
Si vos commerces sont malsains, renversez‑les et mettez-les au service des hommes et non des puissances du Mal. Mais pour le faire, il faut avoir le coeur pur, car seuls les coeurs purs ont la force suffisante pour lutter, sinon c'est impossible.
Vous ne combattrez pas sans violence l'empire de l'argent, de la drogue et des commerces avilissants, tous enchevêtrés. Que peuvent des paroles douces ou seulement fermes contre des brutes ? Vous serez amenés à traquer toutes les mafias de tous les pays et il vous faudra alors choisir entre l'amour des victimes et la guerre aux marchands.
Il ne s'agit pas de tuer, bien sûr, mais de réduire à l'impuissance... »
Et vous n'en êtes qu'à la phase du dépérissement, celle de l'achèvement interviendra : lorsque le commerce mondial aura atteint un certain degré d'unification et de centralisation irréversibles, le matérialisme aura posé son filet sur le monde. Cette ère est proche si vous ne faites rien et votre Europe s'y prépare, aussi consciencieusement que mortellement !
… Là où il n'y a plus ni chant, ni poésie, l'amour s'enfuit et l'homme périt. »
Arnaud, petit commerçant d’amour avec Jacques. Vers le Soleil de Dieu Tome 2
Ainsi donc, Jacques, libéré des filets du matérialisme qu’il continue de combattre parcourt les sentiers du Ciel, sentiers de l’AMOUR et de la Vie le menant vers la plénitude de son Eternité.
Autoportrait de Jacques
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* Voir le témoignage complet sur Jacques dans Dis-leur, Mamoune
** Julien Vers le Soleil de Dieu Tome III p 194-200
*** Lanza del Vasto : 1901-1981, disciple de Gandhi, à la fois saint François d'Assise et sage hindou, apôtre de la non-violence ayant milité pour ses idéaux par la plume et, plus encore, par la création de communautés fraternelles et mystiques.
**** (Jn 2,16)